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"Le Chandelier d’or", les fêtes juives dans l’enseignement de Rabbi Chnéour Zalman de Lady, par Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz
--> le monde est un champ magnétique où s’affrontent, en vérité, le tohu-désordre et les étincelles
Résumé
On a souvent appelé les Juifs « les bâtisseurs du temps ». En effet la
célébration des sept fêtes rythmant le calendrier religieux – sept
comme le chandelier d’or du Temple de Jérusalem – constitue l’épine
dorsale de l’existence du croyant et innerve profondément sa
sensibilité. Ces sept fêtes, dont certaines, tel Kippour, sont
aujourd’hui connues de tous, ont une tonalité particulière, issue d’un
événement singulier de l’histoire juive ; et la mémoire de cet
événement, inscrite dans la fête, marque véritablement le vécu de
chacun. Nombreux sont ceux qui restent attachés à ces rites ancrés dans
tant de vies familiales : on consomme du pain azyme, on écoute le chofar, on habite la souccah...
Mais les implications profondes de ces temps forts échappent
généralement à ceux qui n’ont pas eu le privilège de les étudier. Parmi
les innombrables commentaires écrits sur les fêtes juives, le plus
remarquable est sans doute celui d’un très grand maître du judaïsme,
Rabbi Chnéour Zalman de Lady (1745-1813). Le rabbin Adin Steinsaltz,
universitaire, cabaliste, Prix Israël 1988 pour l’ensemble de son
œuvre, s’est efforcé depuis vingt ans de diffuser la pensée de ce
maître. Il l’a commentée dans une série d’entretiens télévisés avec le
rabbin Josy Eisenberg. Restitués dans ce livre, ces commentaires
dialogués mettent à jour d’une façon vivante la signification profonde
de ces fêtes, et constituent une véritable initiation aux grands thèmes
de la philosophie juive. Nous est ici offerte une lecture accessible,
nourrie du Talmud et de la cabale, des événements-clés de la Bible (le
passage de la mer Rouge, la révélation du Sinaï, etc.) qui fondent les
temps majeurs de la vie juive.
Extraits de presse
Tribune juive, 21 avril 1989, Pessa’h enseigné par la mystique hassidique. À propos d’un récent livre de Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz
II était une terre, celle de l’Égypte des pharaons, dont Dieu
était absent. Pourtant, en cette terre « nue » (Exode 42,9), les
étincelles de sainteté étaient prisonnières. C’est qu’à l’origine,
enseigne la mystique juive, quand Dieu le créa, l’univers était
incapable de supporter les flots de Sa lumière. Aussi les vases divins
se brisèrent et les étincelles se mélangèrent à la matière. La Tora
n’indique-t-elle pas qu’au début le monde était « tohu-bohu, ténèbres
sur la face des abîmes... L’esprit de Dieu planait sur la face des
eaux. Et Dieu dit : Que la lumière soit ». Sur cette terre
d’extrême désolation spirituelle, la mystique juive, pour laquelle les
poissons figurent les âmes, voit s’affronter deux êtres aquatiques. Le
pharaon, « grand crocodile, affalé au milieu de son fleuve » qui dit :
« Le Nil est à moi, c’est moi qui me suis fait » (Ezéchiel 29, 1 à 3),
et Moïse, le « Léviathan », homme de la tribu de Lévi, dont
l’étymologie enseigne qu’il est « lié » à Dieu. Dans l’âme
d’Israël brille l’étincelle divine. Elle aspire à retourner à Dieu et
ce désir agglutine à elle d’autres étincelles, celles qui sont tombées
en exil dans le monde. Voilà pourquoi Israël est envoyé en exil, lui
aussi, avec pour mission de guérir le monde, de lui apprendre à séparer
la lumière de la matière, la lumière des ténèbres, d’orienter les
particules de l’une et de l’autre, de les rendre conscientes... Car
le monde est un champ magnétique où s’affrontent, en vérité, le
tohu-désordre et les étincelles. Israël est l’aimant qui oriente « les
électrons vers un but précis et les fait entrer dans un système
organisé ». Afin de réparer le monde. Il fallut que le premier
exil d’Israël commençât en l’Égypte ancienne, « self-made land », dont
le pharaon-crocodile affirme qu’il a fait le Nil, géniteur de l’Égypte
et son nourricier. Sur cette terre nue de Dieu commence le combat
singulier entre le pharaon-crocodile qui tourne le dos à Dieu (pharaon,
c’est l’anagramme de ’oreph = nuque), qui nie la
toute-puissance divine et Moïse en état de « face à face » avec Dieu :
« Moïse l’homme le plus modeste qui ait jamais été sur terre » (Nombres
12,3) se soumet totalement à la volonté de Dieu. Le combat prendra fin avec la « sortie d’Égypte ». Israël sort hors des « frontières étroites » (étymologie de Mitsraïm = Égypte)
de la causalité, car la royauté de Dieu s’est révélée au-delà de la
causalité des mondes. Voilà ce que veut dire qu’il y a eu « saut »
(traduction du mot Pessa’h). Dieu a fait le « saut »
c’est-à-dire qu’Il s’est révélé à Israël. Israël, lui, peut se
prévaloir du saut de la foi. Il sort hors des frontières du monde
physique et adhère à Dieu. Dans cette dialectique interviennent les prescriptions de la Tora sur la consommation de la matsa, « pain de l’abnégation », qui correspond à l’abdication par Moïse de sa propre volonté pour se soumettre à Dieu. Parce
que le hassidisme dit que nous sommes toujours prisonniers des limites
de « notre Égypte », nous faisons l’apprentissage de la matsa,
comme l’enfant qui découvre le pain, et la connaissance. Au-delà du
concept galvaudé de la nourriture physique qui évoque le savoir, la
nourriture, en ce qu’elle alimente notre cerveau, siège de la
connaissance, permet réellement d’accéder au savoir. « Le pain est
l’aliment par excellence... Le premier accès à la civilisation. » Le
pain dont, ordinairement, nous faisons notre nourriture, le pain
« levé », est le rappel de notre savoir sophistiqué. Après avoir
parcouru l’univers des sciences et des connaissances, il nous faut
revenir à la case départ, et constater qu’au-delà des limites de la
causalité, nous ne savons rien. Et goûter alors la matsa
« comme un retour aux racines de la foi, à un état de la connaissance
pure de tout mélange ». Et s’il est vrai que la cuisson des matsoth,
lors de la sortie d’Égypte, répondait aux conditions de la fuite
imposée, il n’en reste pas moins que, dès l’abord, Dieu avait ordonné
aux Hébreux d’accompagner la consommation de l’agneau Pascal de matsoth (Exode 12,8). « La matsa
représente une des dimensions les plus fondamentales de l’exil et de la
sortie d’Égypte : une apparition, une révélation de Dieu tellement
dense et massive qu’elle écrase l’homme, aplanit son être et sa
culture. C’est comme si tout son savoir, qui s’était enflé comme du
pain levé au cours de l’année, ou des mille années écoulées,
s’émiettait soudain, face à la révélation de Dieu. » Ainsi
parlent les rabbins Adin Steinsaltz et Josy Eisenberg... Pendant de
longues semaines, ils ont dialogué devant les petits écrans et ont
initié les auditeurs français à l’enseignement de l’Admor Hazaken, ou
encore « le Rabbi » : Schnéour Zalman de Lady (1745-1813), premier de
cette dynastie hassidique que l’on désigne communément, aujourd’hui,
sous le nom de « Loubavitch ». Les différentes branches du hassidisme ont profondément puisé dans la mystique juive. Et le hassidisme, depuis le XVIIIe siècle, a été le plus usité des vecteurs à perpétuer l’enseignement de la kabbale, la mystique juive. Cependant,
si le hassidisme traduit l’élan populaire des fidèles et l’enthousiasme
du plus grand nombre, le mysticisme dont il s’est inspiré est resté
limité à des « happy few ». La difficulté intrinsèque d’un enseignement
ésotérique, le langage hermétique de certains écrits hassidiques ont
contribué à maintenir la mystique comme un enseignement protégé. Josy
Einsenberg lui-même n’a fait connaissance des leçons du Rabbi qu’après
avoir frotté son intelligence aux sciences classiques du judaïsme. Curieusement,
c’est en France que, ces dernières décennies, la mystique juive a fait
une entrée sur le devant de la scène, dans un effort d’initiation qui a
conquis un public qui n’avait du judaïsme ordinaire que des
connaissances élémentaires ou fragmentées. Le mérite en revient au
rabbin Léon Achkenazi, dit Manitou qui, au lendemain de la guerre, a eu
recours à un enseignement ésotérique pour permettre aux jeunes juifs
intellectuels, mais ignorants du judaïsme, d’aller à la rencontre de la
Tora. Sans doute la formation philosophique des jeunes Français
a-t-elle rendu plus faciles les leçons de Léon Achkenazi, professeur de
philosophie et directeur de l’école des cadres Gilbert Bloch à Orsay. Pour Josy Eisenberg, il le dit dans l’introduction du Chandelier d’or
qui nous présente ses entretiens télévisés dans un livre de 360 pages,
la découverte des œuvres du Rabbi a été « un véritable éblouissement et
les heures passées à étudier ses commentaires seront parmi les plus
belles de (sa) vie ». Pour sa part, le rabbin Adin Steinsaltz,
« véritable Pic de la Mirandole... a su, lui, renouveler l’enseignement
du Rabbi pour en faire notre plus proche contemporain ». Le Chandelier d’or,
éblouissement lui aussi pour le lecteur, présente un enseignement,
différent et nouveau pour l’immense majorité, des significations des
fêtes juives et des concepts généraux du judaïsme qu’elles
sous-tendent. À l’instar de la techouva dont le livre parle
en ses premiers chapitres, cette leçon se situe souvent au-delà du
temps et du monde ou, en tout cas, des enseignements traditionnels qui
nous sont familiers. Elle permet d’approcher d’un champ de réflexion
placé « au-delà de la nature et de la Loi », dans un univers qui
n’exclut pas des règles différentes de celles de la causalité. L’un
des mérites du livre est sa clarté. Disons que les auteurs ont réussi à
libérer les... étincelles de lumière enfouies dans un domaine où elles
auraient tendance à rester cachées aux non-initiés. L’aisance avec
laquelle ils font appel aux notions de physique et de médecine
contribue à dépoussiérer un enseignement dont ils montrent l’actualité. L’un
des prodiges de la mystique juive c’est que, de façon générale, elle a
su ne pas isoler ses adeptes de la communauté. Si le judaïsme est...
libre pensée, la discipline et la cohésion des fidèles ont été
maintenues grâce à la halakha commune. De ce point de vue, on
a justement remarqué que les grands mystiques juifs ont écarté des
codes de lois qu’ils ont rédigés la moindre allusion à la science
ésotérique. La mystique juive est-elle kabala,
c’est-à-dire un enseignement de même valeur que la halakha, en ce sens
qu’elle aurait été transmise, selon la terminologie propre au verbe
K-B-L, depuis le Sinaï ? Dans la mesure où le judaïsme ignore les
dogmes, l’adhésion à la mystique, qu’elle soit classique ou hassidique,
demeure facultative. Mais elle constitue une très grande satisfaction
pour l’intellect. Ce qui explique l’engouement actuel pour cette
discipline, ainsi sans doute que l’attrait, dans notre univers
rationaliste, de connaissances réservées et qui, s’agissant de la
kabbale, présentent tant de titres d’authenticité.
Ecrit par hizkuni, le Dimanche 18 Mars 2007, 14:24 dans la rubrique "Actualités".
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